Village de Gya / 2019
Région autonome du Ladakh / Inde 2019
Vincent Eschmann Photography
La médecine tibétaine, vielle de plusieurs millénaires, a rayonnée sur toutes les contrées himalayennes pendant des siècles. Sa pratique a presque disparu à la fin du 20eme siècle sous les exactions du régime Chinois. Le Ladakh, dont la culture est très proche des Tibétains, a su préserver son enseignement et sa pratique.
Cette médecine, présente en majorité dans les pays Bouddhistes, trouve de nouveaux adeptes à la recherche de traitements alternatifs pour guérir nos sociétés sur-médicamentées. Ce système médical traditionnel repose sur un diagnostique précis du patient par l’interrogation et l’observation. Les traitements sont une combinaison de recommandations sur le omportement et l’alimentation du patient, de prescription de remèdes phytothérapiques et de parfois du soin de l’âme.
Les amchis sont les gardiens de cette puissante médecine et en assure la transmission.
Je suis parti à la rencontre du très respecté Phuntsog Tashi, amchi du village de Gya
Je me dirige vers un groupe de maison en bordure du village de Gya, hameau de quelques familles posé sur les hauts plateaux désertiques du Changtang ladakhi.
Autour de moi, des collines au relief lunaire s’étirent vers des crêtes enneigées dont les cimes culminent à plus de 6000m d’altitude. Ce hameau d’une centaine de maisons traditionnelles aux toits plats est entouré de champs en friche où se promènent librement chevaux, chèvres et yaks.
Je croise en chemin quelques villageois souriant se réchauffant au soleil et des enfants descendant une rivière gelée assis sur une luge de fortune. Au loin, une fumée blanche s’élève d’une cheminée comme pour m’indiquer la direction.
Alors que je m’approche, une forte odeur de plantes envahit l’air de cette froide matinée du mois de janvier. Je retrouve Phuntsog Tashi dans la remise à l’arrière de sa maison. Assi en tailleur à côté du feu, il prépare à l’aide de quelques ustensiles de cuisines rudimentaires, un remède vieux de plusieurs millénaires.
Phunstog Tashi est amchi et pratique la médecine traditionnelle tibétaine depuis l’âge de 19 ans. Il est aujourd’hui connu et respecté dans toute la région.
Comme son père avant lui, il a transmis son savoir à sa fille, elle aussi amchi. Si pendant des siècles l’apprentissage de cette médecine reposait sur le Rgyud-bzhi, le livre de référence, et sur une transmission orale des pratiques, elle est aujourd’hui reconnue et enseignée officiellement dans une école à Dharamsala. Après une formation de plusieurs années à l’institut de médecine traditionnelle et d’astrologie tibétaine, un certificat attestant des compétences est délivré aux nouveaux praticiens. Cet enseignement est une avancée vers la reconnaissance scientifique de cette médecine et limites les dérives contemporaines de charlatanisme.
Après les salutations d’usages, il m’invite à passer dans son officine. Une petite lucarne éclaire une pièce exigüe où s’entassent de vieux grimoires à même le sol et des étagères surchargées de récipients hétéroclites aux contenues variés. Un minimum de 915 ingrédients différents est nécessaire pour confectionner la plupart des remèdes, dont la préparation peut nécessiter le mélange précis de plus 10 éléments d’origine végétal, minéral ou animal. Pour alimenter sa pharmacopée, Phunstog Tashi passe annuellement plusieurs semaines à arpenter les montagnes himalayennes à la recherche de plantes ou minéraux parfois rares ou situées dans des régions reculées. La cueillette répond également à des règles précises établies en fonction de la saison ou des astres.
La médecine tibétaine prend ces sources dans la médecine chinoise, ayurvédique et chamanique bön. De la médecine chinoise, les tibétains ont appris la palpation des pouls radiaux, l’acuponcture, la moxibuxion et l’utilisation médicinale des plantes et des minéraux. De l’Ayurveda, elle a gardé la théorie des trois humeurs : la bile, le phlegme et le pneuma, des six chakras et des cinq éléments. Des sources mongoles, ils ont développé les rituels bön tantrique de guérison.
Les traités médicaux présentent 1616 formes de maladies répartit entre les maladies d’origine interne et les maladies d’origine externe. Dans les causes internes on retrouve les trois poisons du Bouddhisme que son : l’agressivité, à l’origine de la bile ; l’ignorance du phlegme ; le désir du pneuma. Les causes externes ou secondaires sont circonstancielles comme le froid, l’humidité, la chaleur… Leurs influences peuvent être matérielles ou immatérielle et la médecine tibétaine accorde une place particulière aux possessions et à la magie.
Nous discutons depuis un moment lorsque Phuntsog Tashi me propose de m’ausculter. Alors que je n’avais pas prévu cette éventualité, la curiosité et l’anxiété m’envahissent soudainement. Assi sur un petit tabouret, l’amchi me saisi le bras pour placer ces 3 doigts sur mon poigné. Avec son autre main, il plie et retient mon auriculaire. Ses yeux se ferme et le silence me pénètre en même temps qu’il envahi la pièce. Sa présence devient plus forte et des sensations étranges font vibrer mon corps. Le temps s’est transformé pour altérer ma perception du moment. Mon regard expectatif est tourné vers la l’attitude neutre du médecin dont je scrute la moindre modification de comportement. Après ce qui semble une éternité, il ouvre les yeux et me fixe, le diagnostique tombe. Je dois m’en remettre à mon traducteur pour en apprécier les conclusions.
Par la palpation du pouls un Amchi peut observer toute une série d’organe comme le foie, les poumons, les reins…
Son index lui donnera par exemple des indications sur le cœur et les artères d’une part et sur l’intestin d’une autre. L’annulaire sur le rein et l’organe Bsam-se’u, la vésicule de régénération. Les urines sont aussi inspectées selon un protocole précis. Recueillies le matin, elles seront analysées une première fois quand elles viennent d’être émises, puis tiède et enfin froide. L’amchi observe également a couleur des yeux et de la langue. Mais une particularité est l’interrogation minutieuse des comportements et de son environnement qui vient pour compléter tout examen physique. Cette partie, trop souvent délaissée dans la médecine occidentale, permet de connaître les habitudes du malade et de découvrir l’origine possible de ces maux et non simplement diagnostiquer les conséquences.
Une fois le diagnostique établi, les moyens thérapeutiques sont l’acuponcture et la cautérisation, la prise de médicaments phytothérapiques ou l’établissement de rituels pour soigner l’âme du patient ou calmer l’esprit maléfique.
La médecine traditionnelle tibétaine, synthèse de nombreuses pratiques traditionnels et de moyens thérapeutiques, est toujours vivante au Ladakh. Parfois complétée par des traitements « occidentaux », elle soigne encore une grande partie de la population. Mais les amchis se heurtent aujourd’hui à des maladies contemporaines comme le VIH ou le cancer pour lesquels ils n’ont pas de traitements définis. L’enjeu serait de faire rayonner sa pratique et son enseignement pour offrir une voie alternative ou complémentaire à notre pratique dogmatique et mercantile de la médecine.